Les Dents de la Mer est un film sur lequel mon regard n'a jamais cessé d'évoluer.
Découvert vers 12 ans, il m'a déçu. Déçu parce que je n'y cherchais à l'époque qu'une indicible horreur fantasmée depuis l'enfance. Tout gosse, j'entendais parler de ce fameux "film pas de mon âge" où un requin seme la terreur dans une station balnéaire. Forcement, ça ne pouvait être qu'un festival non stop de bidoche, d'hémoglobine et de gore à gogo.
Revu quelques années plus tard avec d'autres attentes (d'avantage orientées sur le cast), il a lentement amorcé sa réhabilitation à mes yeux de néophyte.
Ce ne fut que vers 20-21 ans, que la vraie claque arriva. Le film fut au programme des cours de photo/cinéma que je suivais alors, et la mise en scène de Tonton Spielberg y fut savamment disséquée. J'ai alors réalisé à quel point ce film était une master-class, véritable incontournable pour quiconque se destine à passer derrière une caméra et diriger des acteurs.
Pour prendre un exemple :
Cette scène qui montre Brody et Hooper sur la plage tenter de convaincre le Maire Vaughn aurait pu être faite de façon très plan-plan. Un dialogue, filmé et monté en champs-contrechamps, comme ça se fait dans 99% des cas, et c'est plié.
Sauf que ce cher Steven a joué ici la difficulté en choisissant d’en faire un plan séquence de 2 minutes 45. Du début à la fin, la prise de la caméra est continue, sans le moindre cut. Et quand on sait qu'il suffit d'un rien pour couper et recommencer la prise, c'est une performance au vu de la complexité de la séquence.
Les personnages parlent en marchant, s'arrêtent à un endroit précis, s'y redéplacent les uns par rapport aux autres, puis repartent jusqu'à un autre endroit, etc, etc... Tout du long, les trois n'arrêtent pas de se ré-agencer dans le cadre, parfois même pour en sortir, et y revenir. Toute une chorégraphie. Ajoutons à ça le fait qu'il s'agit d'un trialogue (un échange entre trois personnes est toujours plus délicat à gérer qu'entre deux), avec des montées de ton, d'agacement, de colère, qui vont même pousser les protagonistes à se couper la parole, à parler en même temps, faire usage d'un fort langage corporel.
Bref, que ce plan en apparence simple ait pu être mis en boite avec autant de contraintes, est la preuve d'une très très grande maîtrise, de la part de chacun.
Je ne vais pas en tartiner des kilomètres, mais ce film en compte quelques autres, des scènes comme ça.