Les jours s’écoulaient : point de nouvelles d’Agnès. L’anxiété de la crainte fit place au découragement. Sur l’ordre du chirurgien, je pris une potion calmante, et dès que la nuit vint, les personnes qui me gardaient se retirèrent et me laissèrent reposer.
Je l’essayai en vain. Je tremblais sans savoir pourquoi ; des gouttes froides me coulaient du front et mes cheveux se hérissaient de frayeur. Tout à coup j’entendis des pas lents et lourds monter l’escalier. Involontairement je me mis sur mon séant et je tirai le rideau du lit. La porte s’ouvrit avec violence ; une figure entra, et s’approcha de mon lit d’un pas solennel et mesuré. Tremblant de crainte, j’examinai ce visiteur nocturne. Dieu tout-puissant ! c’était la nonne sanglante ! c’était la compagne que j’avais perdue ! Son visage était toujours voilé, mais elle n’avait plus ni lampe ni poignard. Elle releva lentement son voile. Quel spectacle s’offrit à mes yeux stupéfaits ! j’avais devant moi un cadavre animé. Elle avait la mine longue et hagarde ; il n’y avait de sang ni dans ses joues ni dans ses lèvres ; la pâleur de la mort était répandue sur ses traits ; et ses prunelles, fixées obstinément sur moi, étaient ternes et creuses. Enfin, d’une voix sourde et sépulcrale, elle prononça les paroles suivantes :
— Raymond ! Raymond ! tu es à moi ! Raymond ! Raymond ! je suis à toi ! Tant que le sang coulera dans tes veines, je suis à toi ! tu es à moi ! À moi ton corps ! à moi ton âme !
Je ne pouvais plus respirer d’épouvante en l’entendant répéter mes propres expressions. L’apparition s’assit en face de moi, au pied du lit, et resta muette. Ses yeux étaient constamment fixés sur les miens. Elle saisit de ses doigts glacés ma main qui pendait sans vie sur la couverture, et, pressant ses froides lèvres sur les miennes, elle redit encore : « Raymond ! Raymond ! tu es à moi ! Raymond ! Raymond ! je suis à toi ! » etc.
Alors elle quitta ma main, sortit de la chambre à pas lents, et la porte se referma sur elle.
Extrait de Le Moine de Matthew G. Lewis.