Les tabous
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Chaque culture a ses propres tabous, c'est-à-dire des actes qui paraissent dégoûtants ou irrespectueux.
Des chercheurs ont constaté que l'instinct, le conditionnement culturel et la classe sociale déterminent notre conception des comportements interdits.Lors d'une étude, des chercheurs ont demandé à des participants de réagir aux histoires suivantes :
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Une femme trouve chez elle un vieux drapeau national ; elle en fait des chiffons pour faire le ménage.
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Une femme mourante a demandé à son fils de se rendre sur sa tombe une fois par semaine. Celui-ci a promis de le faire mais, après la mort de sa mère, il n'a pas tenu parole parce qu'il était très occupé.
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Un chien a été tué par une voiture devant chez ses maîtres. Comme ils avaient entendu dire que la viande de chien était délicieuse, ils ont découpé son corps, l'ont fait cuire et l'ont mangé au dîner.
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Un frère et une sœur aiment s'embrasser sur la bouche. Quand ils sont seuls, ils trouvent une cachette et s'embrassent fougueusement.
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Un homme se rend au supermarché une fois par semaine et achète un poulet. Avant de le faire cuire, il a un rapport sexuel avec le cadavre. Puis il le mange.
Les histoires du drapeau et de la femme mourante dérangeaient peu de gens, mais la plupart étaient d'avis que les protagonistes des histoires du baiser et du poulet devraient cesser ou être sanctionnés.
La sidération morale
Lorsqu'il s'agit de situations tabous, des expérimentateurs ont constaté que les gens ont tendance à fonder leurs jugements moraux sur leurs premières réactions, instinctives, puis à rationaliser ces jugements par la suite. Cela a été le cas pour les cinq scénarios cités ci-dessus, ainsi que pour d'autres questions concernant la sexualité, la nourriture (seriez-vous prêt à boire dans un verre d'eau où a trempé auparavant un cafard stérilisé ?) ou la superstition (seriez-vous prêt à signer un contrat non contraignant pour vendre votre âme au diable contre 2 dollars ?) De nombreuses personnes interrogées ont du mal à expliquer leur aversion pour ces actes, mais affirment qu'il doit y avoir une raison. On appelle ce comportement "sidération morale" : on sait que c'est mal, mais on est incapable de dire pourquoi.
Source : National Geographic hors-série n° 38 d'octobre-novembre 2019
Qu'en pensez-vous ?
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@Hornet là tout de suite je ne pense à rien mais c'est super intéressant !
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@Hornet C'est passionnant. C'est toujours extrêmement instructif quand on se retrouve avec deux individus de deux cultures différentes qui ont des réactions très polarisées sur un sujet mais totalement oposées. Rien que le premier exemple en dit long sur le sujet, des gens vont sacraliser l'objet là où d'autres vont le considérer pour ce qu'il est concrètement.
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Je trouve aussi le sujet passionnant. De manière générale, c'est toujours très intéressant de réfléchir aux raisons de nos jugements moraux, et je suis effectivement convaincue qu'ils sont déterminés par un conditionnement culturel, ou même par l'expérience personnelle et le "très proche" (par exemple quand on est élevé dans une famille croyante et religieuse, on doit ressentir très fort certains tabous que d'autres ne connaissent pas).
Ca me fait penser à l'histoire terrible de ces enfants séquestrés et abusés par leurs parents (j'ai pas leur nom en tête là), pendant genre 20 ans, qui vivaient dans l'isolement le plus total, en tant qu'esclaves, punis, violentés, maltraités quotidiennement. Quand les enfants ont été sortis de là et leurs parents condamnés, les enfants devaient forcément avoir un rapport à la morale très différent du nôtre. -
C'est intéressant comme sujet !
Je ne connaissais pas du tout cette expression de "sidération morale". Je pense qu'il s'agit aujourd’hui essentiellement d'une question culturelle. Car les tabous varient beaucoup selon la culture. Les résultats des cinq histoires ne sont guère surprenants. Surtout le coup du vieux drapeau national, je ne vois pas qui s'en offusquerait.
Je pense aussi qu'il y a une question de génétique sur les tabous à l'origine : je conçois bien le tabou sur le fait d'avoir des relations sexuelles avec ses parents ou ses frères et sœurs, et ce serait cohérent en terme d'évolution.
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Je ne connaissais pas non plus cette expression de "sidération morale".
Mais effectivement, les tabous, font partie de l'être humain je pense... Je ne veux pas m'avancer pour d'autres sociétés que je ne connais pas, mais effectivement, on en a tous, de quelque ordre que ce soit : alimentaires ( les anglais qui ne mangent pas de grenouilles... ou pour ma part, j'ai encore du mal à manger des insectes, même si c'est la grande mode en ce moment), moraux ( en terme de sexualité et en fonction de l'éducation qu'on a reçue, mais également qui sont propres à une société, " le tabou de l'argent" par exemple ) ...
Je rejoins Trichemire dans son analyse sur l'origine des tabous en ce qui concerne la sexualité , mais je pense aussi que la religion et une forme de pouvoir sur un peuple peuvent également expliquer tous les tabous qu'on peut trouver.
Et puis je pense qu'il y a des tabous, lorsqu'ils touchent l'intégrité physique ou morale, qui peuvent poser problème : manger des croquettes pour animaux par exemple, c'est se mettre au même niveau qu'un animal ...Heureusement qu'on peut tout de même se débarrasser de certains.
HS :
Hornet dit
seriez-vous prêt à signer un contrat non contraignant pour vendre votre âme au diable contre 2 dollars ?Cela me fait penser au vieux film "la beauté du diable" avec Michel Simon.
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@Hornet a dit dans Les tabous :
Qu'en pensez-vous ?
- Une femme trouve chez elle un vieux drapeau national ; elle en fait des chiffons pour faire le ménage.
Rien à dire, elle fait ce qu'elle veut
- Une femme mourante a demandé à son fils de se rendre sur sa tombe une fois par semaine. Celui-ci a promis de le faire mais, après la mort de sa mère, il n'a pas tenu parole parce qu'il était très occupé.
Leur relation n'était pas aussi important du côté du fils envers sa mère
- Un chien a été tué par une voiture devant chez ses maîtres. Comme ils avaient entendu dire que la viande de chien était délicieuse, ils ont découpé son corps, l'ont fait cuire et l'ont mangé au dîner.
L'expérimentation ne me dérange pas, mais c'est au niveau de l'hygiène que ça me pose un problème.
- Un frère et une sœur aiment s'embrasser sur la bouche. Quand ils sont seuls, ils trouvent une cachette et s'embrassent fougueusement.
Là aussi c'est de l'expérimentation, on ne nous donne par leur âge, s'ils sont jeunes, ils ne voient pas le mal, s'ils ont l'âge de comprendre, c'est la quête des interdits.
- Un homme se rend au supermarché une fois par semaine et achète un poulet. Avant de le faire cuire, il a un rapport sexuel avec le cadavre. Puis il le mange.
Là, pour moi, ce sont des gens que je ne veux pas connaître, ni rencontrer ni même approcher !
Le tabou c'est surtout la chose que l'on ferait mais qu'on ne pourrait raconter à personne sachant qu'il y a de fortes chances que les gens réagissent mal en l'apprenant. De quoi être cataloguer pour toujours !
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Il existe un livre sur le sujet des tabous de Patrick Banon - Tabous et interdits.
Il définit le tabou de la façon suivante : "un interdit non motivé, ni expliqué ni explicable, ni négociable, ni discutable".Il s'interroge sur une problématique clef qui donne vraiment à réfléchir : "Pourrions-nous vivre dans un monde sans interdits ? Un monde où tout serait permis parce que rien ne serait tabou ? "Il est interdit d'interdire !" ont rêvé certains. Mais une société peut-elle libre sans interdits ?".
Il y répond notamment dans ses écrit.
Pour les personnes encore plus coriaces et qui souhaiteraient approfondir davantage, voir Le tabou - Etudes sociologique, 1952, par Hutton Webster, disponible gratuitement sur Google. Ce monsieur était professeur d'anthropologie sociale à l'Université de Nebraska, ainsi que chargé de cours de sociologie à l'université de Stanford.
Pour l'avoir rapidement survolé dans le passé, on en apprend énormément, je recommande vivement (d'ailleurs je pense que je vais me mettre sérieusement à le lire grâce à ce post !)
Merci @Hornet.
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Une femme trouve chez elle un vieux drapeau national ; elle en fait des chiffons pour faire le ménage.
À une époque ça m'aurait choqué, plus maintenant, je serais juste consterné. Les vieilles valeurs tout me monde s'en moque aujourd'hui.
Une femme mourante a demandé à son fils de se rendre sur sa tombe une fois par semaine. Celui-ci a promis de le faire mais, après la mort de sa mère, il n'a pas tenu parole parce qu'il était très occupé.
On peut pas toujours tenir ses promesses. Du moment qu'il se recueille de temps en temps sur sa tombe, tout baigne.
Un chien a été tué par une voiture devant chez ses maîtres. Comme ils avaient entendu dire que la viande de chien était délicieuse, ils ont découpé son corps, l'ont fait cuire et l'ont mangé au dîner.
Bon appétit.
Un frère et une sœur aiment s'embrasser sur la bouche. Quand ils sont seuls, ils trouvent une cachette et s'embrassent fougueusement.
L'inceste c'est pas trop mon délire, si ça me choque ? Évidemment. Mais je ne vais pas me mêler de ce qui me regarde pas pour autant.
Un homme se rend au supermarché une fois par semaine et achète un poulet. Avant de le faire cuire, il a un rapport sexuel avec le cadavre. Puis il le mange.
Lui, il a sérieusement besoin de consulter un psy. Je vais même pas juger ce pauvre gars, il a l'air complètement siphonné du bulbe.
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Je viens de tomber sur ce sujet à l'instant et je vais me livrer à ce petit jeu.
Une femme trouve chez elle un vieux drapeau national ; elle en fait des chiffons pour faire le ménage.
En soit, je comprends le côté pratique pour la personne. Personnellement, cela ne me viendrait pas à l'esprit car j'ai de la famille qui a donné (littéralement) sa vie pour le pays et tous ses symboles. Je ne me vois pas manquer de respect à leur mémoire en ne respectant pas ce qu'ils ont défendu.
Une femme mourante a demandé à son fils de se rendre sur sa tombe une fois par semaine. Celui-ci a promis de le faire mais, après la mort de sa mère, il n'a pas tenu parole parce qu'il était très occupé.
Je peux comprendre le fils et le fait que l'on ne peut pas toujours tenir ce genre de promesse. Dans ce cas on ne le fait pas. Personnellement, j'accorde une grande importance à la parole donnée, à l'honneur, à la fidélité/loyauté envers les siens. Donc, je ne pourrai pas accepter de ne pas tenir l'engagement pris.
Un chien a été tué par une voiture devant chez ses maîtres. Comme ils avaient entendu dire que la viande de chien était délicieuse, ils ont découpé son corps, l'ont fait cuire et l'ont mangé au dîner.
Manger du chien, c'est une expérience comme manger des insectes ou de l'autruche. Par contre manger son propre chien, pour moi, cela revient à manger un membre de sa famille. Personnellement, je ne pourrai pas le faire si c'est le chien de la famille. Un chien lambda, pourquoi pas c'est comme une vache ou un poulet que l'on n'a jamais vue vivant et passer à l'abattoir.
Un frère et une sœur aiment s'embrasser sur la bouche. Quand ils sont seuls, ils trouvent une cachette et s'embrassent fougueusement.
L'inceste n'est pas une chose acceptable dans notre société, mais c'était à la mode dans certaines sociétés de l'antiquité. Personnellement, j'aime mes frères ... mais certainement pas de cette façon. C'est là que l'on se rend compte qu'il y a plusieurs formes d'amours.
Un homme se rend au supermarché une fois par semaine et achète un poulet. Avant de le faire cuire, il a un rapport sexuel avec le cadavre. Puis il le mange.
Euh ! No comment ! Il n'a pas dû comprendre la subtilité de fourrer la volaille en cuisine
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Le plus terrible des tabous : le cannibalisme.
Je pense à la tragédie du crash d'un avion dans la cordillère des Andes en 1972. Des gens mouraient, le temps passait...
Les survivants acceptèrent de transgresser un tabou : ils ont mangé leurs camarades décédés.
Certains furent d’abord vraiment réticents mais ont fini par s'y résoudre : c'était le seul moyen pour survivre.
16 survivants sur 45 passagers après 72 jours passés sur le glacier .
L'instinct de survie est plus fort que la morale. -
J'en pense que c'est très intéressant merci de nous avoir partagé ça
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Quels auteurs ont développé cette notion de "sidération morale" ?
Le tabou est normalement relatif, si ce n'est au religieux en tant que tel, du moins au sacré. Sont tabous des êtres, des objets, parfois pour une catégorie d'être (ou d'objets aussi) particulière. Il est interdit par exemple aux hommes Guayakis de toucher le panier des femmes et aux femmes de toucher l'arc des hommes. Braver cet interdit implique d'attirer la malchance, plus dans le cas de l'arc que celui du panier d'ailleurs... ( ).
Là, on a plutôt l'impression, effectivement, de jugements de goûts et dégoûts. Le drapeau éventuellement pourrait relever du tabou, mais dans une société avancée c'est assez mince. Surtout pour un vieux drapeau, dont on ne sait pas trop ce qu'il représente pour la femme. Le chien et la femme mourante ?! Je ne vois pas bien. Pour le chien ça fait assez provocation car on ne voit pas bien qui ferait ça... surtout pour la raison invoquée. Mais aucune de ces deux propositions ne semble relever réellement d'un "tabou". La sexualité nourrit toujours des tabous mais là il n'y a que celui de l'inceste, et entre frère et sœur, c'est un tabou effectivement relatif en fonction des cultures, dans l'Histoire. Les égyptiens le pratiquait du fait de leur cosmogonie et de la relation Isis / Osiris. Mais sinon c'est tout de même un tabou assez général, pour les raisons de parentés structurantes des liens et rapports sociaux (Levi strauss) plus que pour une prohibition psychique (Freud). Mais là, le frère et la sœur s'embrassent comme le souligne @JL. Vont-ils plus loin ? Pour le dernier cas, comme l'ont relevé la plupart, ça ne relève pas du tabou mais plutôt du désordre psychique probable (sauf à imaginer une société où cela serait rituel, pour des raisons d'ailleurs assez difficiles à concevoir pour nous).
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@leo a dit dans Les tabous :
Là, on a plutôt l'impression, effectivement, de jugements de goûts et dégoûts.
Les cas cités sont plutôt effectivement des interdits de type socio-culturel.
Les tabous concernent la violation de ce qu'il y a de plus sacré : la vie.
Il y en a donc 3, reconnus de façon universelle, qui sont : l'inceste, le meurtre et le cannibalisme.
Par la suite, ce mot s'est vulgarisé et son sens s'est élargi à différents actes condamnés par le code moral d'une société à tel moment,
des actes non rattachés au champ religieux mais qui heurtent la bienséance communément admise par la dite société.En occident, la mort par exemple est comme tabou :
en parler répugne à beaucoup de gens, d'autant plus si l'on aborde le thème du suicide.
Idem pour les maladies dites honteuses parce que liées à l'activité sexuelle, comme le sida.
Les pauvres sidéens se sont ainsi pas mal de temps retrouvés ostracisés par la bien-pensance...!
Les tabous tournent toujours autour du corps humain et des actes qu'on lui fait subir qui nuisent à son intégrité et/ou à sa vie. -
@Hornet
Sujet intéressant et vous avez globalement à peu près tout dit, c'est évidemment culturel et les tabous d'hier sont souvent devenus de la gloriole même, c'est un sujet ethnologique qui peut nous conduire partout dans le monde et à toutes les époques tant ces interdits sont nombreux.Une illustration originale, le très beau et dernier film de Murnau en 1931: "TABU"