Parapluie - conjoncture - douceur - adieu - accomplir, caleçon, vacances.
« Adieu, veaux, vaches, cochons et couvée ! » s’exclama mon grand-père.
Quelques têtes se tournèrent dans sa direction et je croisais alors quelques regards perplexes. Je répondis par un haussement d’épaules et un regard qui partageait mon incompréhension. Moi, non plus, je ne savais pas ce que mon aïeul voulait dire. A vrai dire, je ne voyais vraiment pas quel rapport il pouvait y avoir entre les annulations de vols en série que nous constations avec de plus en plus de sidération et tous ces animaux de ferme.
« Faut dire, avec la conjoncture actuelle, ça n’a rien d’étonnant ! » continua-t-il, d’une voix tonitruante.
J’ignorais ostensiblement les regards désapprobateurs. Il parlait fort, volontairement, pour me mettre mal à l’aise. Car il était comme ça, mon grand-père : quand quelque chose allait de travers, il aimait tourner le couteau dans la plaie et humilier le ou la coupable autant que possible. Avec un tel public à disposition, forcément, il n’allait pas se priver. Dans un soupir, je me préparais à la grande tirade qui allait forcément suivre.
« Je te l’avais bien dit ! s’écria-t-il. Organiser des vacances à l’étranger dans une époque pareille ! C’est juste pas possible ! »
A la maison, déjà, j’avais essayé de l’interroger sur la « conjoncture actuelle » dans l’espoir de comprendre de quoi il pouvait bien parler et pour quelle raison, il estimait que mon projet de voyage n’aboutirait pas. J’avais écouté attentivement, posé avec douceur toutes les questions qui m’étaient venu à l’esprit pour obtenir des éclaircissements. Ses explications avaient été si floues et imprécises que je n’avais rien compris. Sérieusement, en quoi l’évolution négative du cours de la bourse des fabricants de parapluies pouvait bien indiquer que le moment était mal choisi pour partir en vacances ?
« On devrait faire demi-tour ! » décida-t-il soudain.
Sa voix portait moins et j’en fus soulagée.
« notre vol n’a pas été annulé, grand-père, lui répondis-je. Et nous sommes les prochains dans file, ça serait dommage de renoncer maintenant. »
Un grognement mécontent fut sa seule réponse.
La famille, juste devant nous, marmonna un au-revoir poli à l’hôtesse d’accueil et commença à s’éloigner du guichet.
Je fis un pas en avant.
« oh ! et puis je vais finir par faire dans mon caleçon, si j’attends plus longtemps » déclara mon grand-père d’une voix particulièrement retentissante avant de commencer à s’éloigner d’un pas déterminé bien qu’il fut lent et boitillant.
Je le rattrapais avec un regard d’excuse adressé à l’hôtesse. Elle me répondit avec une petite moue compatissante avant de demander aux deux voyageurs suivants de prendre leur tour.
Je les laissais passer et avec un agacement non dissimulé j’interrogeais mon grand-père.
« Je pourrais savoir ce que tu crois accomplir, avec tes manières de sauvages ? »
Je m’en voulu immédiatement. Jamais, au grand jamais, je n’avais osé utiliser un tel ton avec mon grand-père. Je m’apprêtais à présenter mes plus plates excuses lorsque je croisai son regard. Clairement, il me mettait au défi. Au défi de quoi, je ne savais pas, mais son regard ne fit que jeter de l’eau huile sur le feu de ma colère.
« J’ai mis toutes mes économies dans ce projet. J’ai passé un temps fou à tout organiser pour que tout soit parfait et toi, tout ce que tu sais faire pour me remercier, c’est grogner et tempêter ».
J’avais levé la voix, sans m’en rendre compte. A nouveau, des têtes s’étaient tournées vers nous. Mais cette fois, constatant que c’était moi qui criais, on me fit remarquer sèchement que je devrais parler autrement à une personne âgée. C’est alors que mon grand-père fit une chose que je ne l’avais jamais vu faire. Il prit ma défense :
« C’est ma p’tite fille ! Elle me parle comme elle l’entend ! »
L’homme ainsi interpellé se renfrogna et secoua la tête, désapprobateur.
« Eh bien quoi ? demanda mon grand-père gentiment en s’adressant de nouveau à moi. Je suis un sauvage, non ? »
Curieusement, il n’y avait nul reproche dans sa voix, pas la moindre trace de moquerie non plus. J’étais totalement interloquée.
Soudain, il me prit la main et plongea son regard dans le mien.
« Tu essayais de me dire quelque chose je crois. »
C’est à partir de ce jour-là, le jour où un volcan islandais au nom imprononçable avait décidé brutalement de cracher un nuage de fumée impénétrable, que j’ai commencé à m’affirmer véritablement et assumer mes choix et décisions. Et que j'ai découvert que mon grand-père était, en réalité, le plus gentil des hommes.
Edit : après relecture, j'ai relevé une grossière erreur, elle est corrigée.