Aller, petite anecdote amusante, dans la catégorie débile.
1993, j'ai 14 ans.
Nous sommes à la fin de l'été, dans le sud de la France, les bals de village battent leur plein. Dans une ambiance plus ou moins bof (la grande période des soirées mousses)
Ce soir, c'est le bal dans mon village.
Ce soir, encore, je vais là voir, elle sera là, Lucie.
Mon dieu Lucie, elle me pétrifie , elle a un an de moins que moi, mais qu'est ce qu'elle est belle, qu'est ce qu'elle m'attire.
Sa simple présence me change totalement, me rendant comme dans les films, totalement benêt.
J'ai passé l'année scolaire à l'observer de loin dans le bus scolaire, à discuter un peu avec elle à l'arrêt de bus.
Enfin discuter:" Ah salut bu ba beuuuu me la ruuuuu gneu"
Et les potes le savent, ils n’arrêtent pas de me charrier avec ça.
Ils se foutent vraiment de ma gueule et de mon impuissance face à cette si charmante demoiselle.
Totalement subjugué par Lucie, j'ai même éconduit Laure qui a pourtant le béguin comme jamais pour moi et qui est vraiment une fille géniale.
Vous n'imaginez pas comme je me suis fait lynché dans le groupe de garçons que nous formons à 4. Tous plus ou moins (beaucoup plus quand même) serial looser côté coeur, celui qui a une touche réelle en devient digne de figurer au générique d'un Marvel.
Un véritable super héro de la drague, le sniper de l'amour, le Picasso du romantique.
Enfin du coup moi je suis plutôt Vincent Van Gogh
Mais ce soir, tout change, ce soir, je suis un winner.
J'ai la niak, je suis gonflé à bloque, je suis une putain de machine.
Mon magnétisme animal va tout faire.
Je me prépare.
Déjà, faut avoir l'air cool.... basket bien défoncé façon skateur, jean troué avec épingle à nourrice pour le style, T-shirt LC waikiki... (avec le recul ouai.... mais pourquoi ).
Cheveux repoussés en arrière, gel pour le maintien et pour former quelques pics (mais pourquoi j'avais envie de ressembler à sonic bordel ).
Bracelets brésilien pour exhiber toute cette coolitude qui dégouline jusqu'au bout de mes bras et surtout, lunette de soleil, indispensable pour une soirée qui se passe de nuit (j'vous l'avais dit qu'il était un peu limité le garçon.... )
Et en avant pour le show, révision des pas de danse dans le miroir de l'armoire de ma chambre.
Ace Of Base - All that she wants et Haddaway - What is love en boucle et à fond.
Purée, même les tubes de l'été sont des signes de ma réussite à venir, c'est certain.
Prend garde à toi Travolta, Jabba le dieu du move arrive.
D'ailleurs, en fait, imaginer Jabba danser, c'est assez ressemblant.
Heureusement, l'année suivant, le mia me sauvera et je ne craindrait plus dégun.
Mais nous n'en sommes pas encore là.
Mon plan est simple.
Mais il est imparable, comme la traversée des Ardennes en 40, il est imparable et ne peut mener qu'à la victoire glorieuse.
Montrer ma coolitude, danser en mode mâle Alpha sur la piste pour attirer les regards de la demoiselle et ensuite lui faire des avances. (Ça y est, c'est officiel, vous pouvez dire que vous connaissez le mec qui a cru un jour à ses conneries )
Avec les potes nous arrivons à la fête du village.
La place du village a été transformée en piste de danse.
Sur une petite scène, DJ je fais ça pour me faire 3 sous mais je suis complètement naze (ouai, j'ai pas retenu le nom exact), entame son show.
La musique est très forte, trop forte.
Il y a des lumières un peu partout, des machines de jeu (attrape nigau... euh peluches) etc...
Les ados du coins sont pour la plupart là, en petit groupe plus ou moins hétérogène.
La piste est vide, personne n'ose y aller (c'est la honte de se retrouver seul à danser).
On échange un peu avec les potes, je regarde autour de nous...
Pile en face, elle est là, elle rayonne, éblouissante déesse (c'est là que je me dis que finalement, les lunettes de soleil, c'était pas si con...).
Oh là là mon pépère, c'est le moment d'y aller.
Love machin activated mode combat.
Tel le mâle Alpha que je suis (ouai, c'est après en fait que j'ai compris la vraie définition), je m'avance seul sur la piste déserte.
Qu'à cela ne tienne, je n'ai pas peur, je n'ai pas honte.
Et là, je commence à montrer toute ma maitrise chorégraphique (petit pas chassés, tour complet sur moi même avec doigt qui traine sur la foule, déhanché de folie sous les stromboscopes, j'aurais été un dieu à l'époque du disco)
Quand soudain...... (me dites pas qu'c'est pas vrai ) ce con de DJ..... devant tant ce succès, coupe la musique pour mettre un slow
J'me retrouve là, seul (un peu con, faut le dire) au milieu de la piste avec Whitney Houston - I will always love you....
Mes potes naturellement mort de rire... merci du soutien.
Mais bordel, on a dit que j'étais un winner ou pas
Qu'à cela ne tienne, je me dirige vers Lucie, d'un pas ferme et déterminer, mais cool quand même hein
A ce moment, dans ma tête:
Putain, comment on est cool et déterminé, est-ce que si j’appuie mes pieds fort sur le sol mais que je suis plus souple des épaules ça marche ou bien faut que je fasse genre je regarde ailleurs... non mais du coup, je sais pas ou je vais....j'vais me prendre un arbre avec ces conneries, et puis sinon, je peux toujours mettre mes lunettes ça fait cool, mais t'es con ou quoi il fait nuit, oh putain, mais j'avance là, je suis presque arrivé, mais ben bon heu.... réfléchit Jabba, réfléchit....
Pour rappel, à ce moment, j'ai 14 ans... réflechir
Je me retrouve donc devant elle, sans m'être aperçu de mon trajet (j'ai sûrement du être super cooooooooool seul au milieu de la piste sur un rythme de Withney, avec un look de neuneu.... ouai, ça devait être le top du cool).
Mais je ne me dégonfle pas.
Salut Lucie, tu vas bien? ça te dirait de danser
Et là, vous vous souvenez du super DJ hein, mais ouai DJ j'fou la merde.
Mais qu'est ce qu'il ne nous fait pas comme surprise??????
Ben ouai mon con, il a bien vu que personne ne se bouge et qu'il ne met pas l'ambiance.
Il a bien vu qu'il n'y a que moi qui ai traversé la piste pour aller demander à l'élu de mon cœur de bien vouloir consentir à une danse.
Il coupe tout, spot sur nos tronches (on le sait pourtant que la lumière blanche c'est pas top quand tu es fan de biactol ).... et:" Alors les amoureux, on lance vraiment la première danse"
Bon là, autant vous dire, je suis pétrifié, genre mais non ça va, personne te regarde, tout va bien se passer, t'as pas tout le collège qui te zieute, tout le village, tous les villages alentour, no stress, zen, rappelle toi, tu es la coolitude zen incarnée....
La libération vient de Lucie elle même , qui met fin au supplice par un sublime, fort, net et puissant:" Mais non "
Exclamation suivi naturellement d'un rire général autour de la place...
Le plan c'était pas débuter une carrière de comique pourtant hein, je suis certain qu'on avait pas dit ça.... putain, ils est ou le story bord là.... appeler moi le réalisateur, le film se déroule pas comme il faut
La musique reprend, DJ blaireau a l'air content de lui.
Tout penaud, je retourne avec les potes hilares qui me décerneront en toute fin d'été la récompense suprême pour nous à l'époque , le râteau d'or 1993
L'année suivante, c'est le lycée, je n'y croiserai presque plus personne car ce n'est pas le lycée de secteur ou je vais. Mes études m'éloigneront ensuite de mon village.
Je recroiserai plusieurs années après Lucie qui sera visiblement intéressée (il faut dire qu'entre mes 14 et 17/18 ans j'ai énormément mais alors énormément changé) mais j'étais déjà parti vers d'autres cieux et considérations...
Épilogue: Au lieu de me traumatiser, cette expérience m'a fait énormément relativiser l'image que je pouvais renvoyer et le sérieux que je devais y accorder.
Ça m'a beaucoup déridé dans mon rapport à l'autre et permis d'atteindre la vraie coolitude... de quand tu en as rien à foutre de toute façon et que tu as suffisamment d'autodérision
Mais dans mon petit village du sud de la France, je suis toujours le mec du râteau
Désolé pour le style (ou plutôt le non style) et les fautes