« Tu as donc supposé », s’écria la femme, plantant un regard ébahi et consterné dans le regard de son mari. « Et depuis quand une supposition a-t-elle valeur de preuve légitime ? Et comment, dans tous l’éventail des possibles, as-tu décidé que si je venais déjeuner ici tous les midis, c’était pour y rencontrer quelqu’un ? j’aime ce restaurant. Les repas y sont simples, abordables. Le cadre est agréable et la serveuse toujours souriante. Eh oui, il est loin de mon bureau ! Loin de mes collègues, surtout ! »
La femme fit une pause, et sans laisser à son mari le temps de seulement choisir une nouvelle ligne de défense, elle reprit, l’air désolé et déçu :
« Comment as-tu pu croire, ne serait-ce qu’une seconde et en dépit de tout ce que nous avons vécu, de tout ce que j’ai pu faire par amour pour toi… ! parce que je te rappelle tout de même que c’est ta carrière que nous avons mis en avant ces dernières années. Que c'est pour toi que j’ai accepté de venir vivre dans cette petite ville, alors que tu sais très bien que je suis une vraie parisienne ! Comment as-tu pu croire… ? »
La femme secoua la tête, réprima un sanglot.
« La confiance que tu me portes aurais dû te suffire, non ? »
Elle retint son souffle et murmura, interloquée, comme faisant face à la plus improbable des conclusions :
« Tu ne me fais plus confiance, c’est ça ? Mais comment ? pourquoi ? Qu’est-ce que j’ai fait ? »
Elle se tut alors, laissant enfin un peu de temps à son mari pour répondre.
Mais rien ne franchit ses lèvres sinon un pathétique murmure.
« Je suis désolé », dit-il l’air piteux et malheureux.
Il jeta un dernier coup d’œil à la table où sa femme était assise et où il ne se trouvait qu’un seul couvert face à une seule chaise.
Alors, sa femme lui caressa la joue et lui dit.
« Allez, je te pardonne. »
Elle sourit et ajouta :
« Ça fait du bien, mine de rien, de te savoir un peu jaloux . »
Finalement, l’homme finit par sortir du restaurant. Il remonta dans sa voiture ; une petite Cooper rouge vif qu’il avait abandonné plus que garé sur le trottoir devant le restaurant et quitta les lieux.
Une serveuse s’approcha alors…
« Je mets tout de même le second couvert ? » demanda-t-elle d’un air un peu désorienté.
La femme opina du chef.
« Oui » confirma-t-elle. Et elle laissa échapper un long soupir de soulagement.
Quelques secondes plus tard, un homme sortit des toilettes. Il se rapprocha d'un pas vif de la femme. Il s’excusa pour le temps que « ça lui avait pris » et s’installa sur la chaise que la serveuse venait de rajouter de l’autre côté de la table.