Alors, si j'ai bien tout répertorié, il faut inclure les mots :
Inconnu, vivre, essentiel, vertige, émotion, soleil…
Il n’avait pas 15 ans, le jour où il avait décidé qu’il ferait, coûte que coûte, partie de l’aventure. Ce qui était parfaitement déraisonnable, inconscient, voire, contre-intuitif. Et pourtant, il voulait en être.
Tout allait nettement mieux sur terre pourtant. Il faisait partie de cette génération qui profiterait enfin des efforts des trois générations qui l’avait précédé. Non pas qu’il se montrait ingrat envers ceux qui, après avoir survécu à la pandémie, à la guerre, puis au grand cataclysme économique, s’étaient donnés la peine de tout reconstruire, tout remodeler et tout repenser. Le rêve ultime d’une seule nation mondiale enfin unie était même à portée de main. Oui, le monde allait mieux. Même la nature semblait enfin s’être calmée et avoir retrouvé un certain équilibre. L’humanité, après avoir tant peiné pour ne pas franchir le point de non-retour et après s’être imposée tant de contraintes pour revenir à une certaine harmonie écologique, allait enfin pouvoir penser à vivre pleinement plutôt que simplement survivre.
Dans ce nouveau contexte, le projet avait bien failli être purement et simplement abandonné. La motivation d’un nouvel horizon s’étant peu à peu estompé jusqu’à presque disparaitre. Le monde avait à ce point été changé que l’inconnu, disait-on, n’était plus au-delà de notre système solaire, mais bien de nouveau devant soi, sur cette terre remodelée, au sein de cette humanité métamorphosée.
Le truc, c’est qu’il n’y croyait pas. Il était convaincu que tout finirait par imploser. Dans leur quête humanitariste d’une bonne entente universelle, les hommes avaient fini par s’imposer des contraintes trop lourdes, trop pesantes, trop liberticides. Ils avaient oublié l’essentiel : le respect de soi et des autres. A force de s’imposer un contrôle de soi extrême dans le but d’atteindre à la diplomatie ultime, ils en étaient presque venus à rayer le mot "émotion" de leur vocabulaire. Or, l’homme n’était pas fait pour vivre ainsi, sans jamais ressentir d’autre vertige que le malaise vagal.
Oui, en vérité, il en était convaincu l’humanité ne s’était pas métamorphosée. Elle s’était simplement déguisée et il savait que le jour où les masques tomberaient, tout partirait à nouveau à vau-l’eau. Il avait déjà vu les prémices de l’effondrement qu’il pressentait proche. Une bouche pincée par la critique, ici ; un sourcil froncé et désapprobateur, là… des détails sans doute, à peine perceptibles parfois. Des indices clairs pourtant que la nouvelle humanité était d’ores été déjà sur le point d’exploser… une fois encore.
Heureusement, il n’était pas le seul à croire que le projet « NovaSun » valait la peine d’être mené à terme. Il avait fallu batailler ferme pour obtenir les derniers financements et convaincre que l’énorme investissement qu’il représentait ne pouvait tout simplement pas être mis de côté. Trop avait déjà été mis en œuvre, trop d’argent avait déjà été impliqué. Des hommes et des femmes, scientifiques, ingénieurs, médecins, psychologues, agronomes et tant d’autres avaient consacré leurs vies entières, leurs existences même pour voir un jour leurs descendants accéder enfin définitivement aux étoiles.
Il n’était pas de ceux-là. Aucun de ses aïeux n’avait travaillé sur le projet, ni de loin, ni de près. Mais puisque ceux à qui étaient destinées les places disponibles à l’origine avaient finalement décidé d’un autre chemin, un recrutement avait été organisé. Il s’était présenté, convaincu que son profil ne conviendrait pas. Trop svelte, trop petit, trop sujet aux maladies. Et pourtant, il avait été sélectionné. Avec tous les autres postulants. Et encore c’était à peine suffisant, semblait-il.
Et c’est ainsi qu’il était parti. Il avait bien senti que ni son père, ni sa mère, ni personne de son entourage ne partageait son enthousiasme, loin de là. Mais puisque dans cette société convertie il était inconcevable de contredire quelqu’un, on l’avait laissé faire. Et c’est ainsi qu’à l’âge de 17 ans, à peine à adulte, il avait embarqué pour un voyage intersidéral en direction d’un nouveau soleil – une naine rouge – et vers cette exoplanète qu’on avait baptisé Ross-128b ; à bord dans un vaisseau doté d’une technologie à propulsion ionique censé leur faire franchir en quelques décennies, les 11 années lumières qui les séparaient de leur destination, pendant qu’ils seraient plongées dans un sommeil artificiel grâce à une technique de cryogénisation tout juste considérée comme viable.